La vie en entreprise est donc, je l’affirme et j’en sais quelque chose, une sorte de jeu sans fin. Le joueur est le salarié ou l’employé. Il ne peut sortir du jeu qu’en sortant de l’entreprise (sauf intrusion de l’entreprise dans la psyché de l’intéressé ce qui n'est pas rare, surtout depuis l'arrivée du blackberry, fermons la parenthèse). Tant qu’il est dans l’enceinte de l’entreprise, il lui est impossible d’être lui-même, les règles en vigueur rendent le retour à la normal exclu.
Ces règles sont, évidemment, appliquées par les joueurs à leur insu.
La première règle consiste à refouler l’existence d’un tel jeu sans fin. Notons que les joueurs acceptent bien volontiers l’existence et l’importance d’un règlement intérieur à l’entreprise tout comme ils connaissent le chemin le plus court pour gagner la cantine. Pour nous, le règlement intérieur ne se situe pas au même niveau logique que les règles du jeu sans fin.
La transition entre le dehors et le dedans et vice-versa est un phénomène inconscient en tout point comparable à ce qui arrive aux deux personnages du film de Woody Allen « Le sortilège du scorpion de jade » : l’individu devient employé sous l’effet d’une séance d’hypnose qu’il s’inflige à lui-même ou plus précisément, qu’une autorité invisible ayant prit corps en lui, lui inflige.
La seconde règle consiste à se convaincre que l’on est un, unique et indivisible et ce, en dépit du changement de tenue vestimentaire, de l’utilisation du vocable idoine … Ces différentes formes de mimétisme inconscient régissant le comportement de l’employé sont considérées par lui comme soumises à son libre arbitre et à son jugement (ce qui, est-ce nécessaire de le rappeler, est archi faux).
La troisième règle consiste à mettre en œuvre une communication qui n’a de sens que dans l’entreprise. Par exemple il devient impossible de dire « stop, arrêtez vos conneries, ouvrez les yeux » puisque cette sentence devient immédiatement une injonction liée au travail qui sera par exemple interprétée comme suit : « vite, vite, arrêtez le batch qui boucle, on va être en surconsommation de CPU » ou bien « trop c’est trop, c’est pas possible d’accorder un crédit à un ménage avec 4 enfants vivant à Paris ».
Parenthèse théorique : la communication se décline selon deux modes : digital d’une part (les mots), analogique d’autre part (tout le reste : les gestes, l’intonation, les rictus, la respiration …). Cette troisième règle s’applique aux deux modes de communication. Ainsi, l’employé qui prend soudain conscience de sa misérable condition et le laisse deviner sans mot dire par un comportement normal (du point de vue de l’observateur extérieur) sera suspecté de fraude ou d’incompétence …
La quatrième règle consiste à admettre de facto que la normalité se situe là où se situe l’individu. Concrètement, l’employé étant là où il est (dans l’entreprise), c’est là qu’est la normalité. Conséquence de quoi un comportement qui serait jugé anormal hors de l’entreprise revêt ici l’apparence de la normalité. Exemple : gesticuler en parlant fort, être habillé en costar cravate, prononcer à tort et à travers des « en termes de », des « de vais staffer une équipe pour », des « on se réunit en smartgroup à 17h30 » etc.
Cette liste est non exhaustive, si vous connaissez d’autres règles, faites-le nous savoir …
1 commentaire:
Constantinople!
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