mercredi 23 janvier 2008

Être chef




Comment est-on désigné chef ?
Aujourd’hui, il semblerait que certains critères se dégagent au vu de la statistique :

- avoir quarante ans (au moins) et deux enfants (au moins)
- être incapable d’effectuer le travail que l’on délègue
- croire en l’ « inégalité juste » des individus (ou au moins être de droite)
- avoir une personnalité suffisamment creuse (ou maligne) pour se permettre de rester insensible à (ou se réjouir) des situations sociales néfastes que l’on est amené à créer

Cette dernière caractéristique est notamment facilitée par la frustration accumulée pendant les années antérieures au statut de chef. Le chef pense être né chef. Il croit qu’il le mérite depuis toujours et, lorsque la promotion arrive enfin, ce n’est pas le plus beau jour de sa vie : sa vie commence.

Il acquiert rapidement les rudiments du langage de chef :
- mon équipe
- tu peux fournir plus d’efforts
- je suis déçu
- quelqu’un a-t-il quelque chose à ajouter
- je n’ai pas le budget suffisant
- Non
- Je t’accorde tes congés

Cette acquisition est notamment facilitée par son statut de parent, en privé. S’exerçant le week-end sur ses enfants, il pourra dès le lundi appliquer les méthodes manipulatoires qui se sont avérées efficaces à l'issue du banc de test. Malheureusement, il ne tient pas compte du fait que chacun des membres de son équipe a plus de douze ans. Qu’à cela ne tienne, à force de menaces et de persécution, il parvient à établir la relation parent-enfant recherchée. Après tout, ils n’ont qu’à fouiller dans leur mémoire, ils doivent bien se souvenir de leur enfance et de l’attitude qu’ils continuent bien souvent à avoir avec leurs parents. C’est donc possible, à condition que tout le monde y mette de la bonne volonté, évidemment.

Mais ces critères sont-ils optimaux, ou est-ce un pis-aller ? Pourquoi l’autorité naturelle n’entre-t-elle pas en jeu dans l’établissement de la hiérarchie ?
Nous pouvons tous remarquer que l’autorité naturelle, loin d’être un atout dans l’entreprise, se révèle bien souvent un handicap, car chose immédiatement décelée chez l’intéressé, celui-ci est dès lors classé dangereux, et mis à l’écart par la majorité des autres chefs qui eux ne possèdent pas cette aptitude.

On peut aller plus loin en constatant plus généralement que les aptitudes naturelles sont cachées, soit par pudeur modeste et par peur de dévoiler toutes ses cartes tout de suite, soit par pudeur avantageuse : lorsqu’on ne possède pas ces aptitudes, en faisant mine de les cacher, on peut faire croire qu’on les possède.

Ainsi, l’uniforme en entreprise permet à chacun d’abattre ses cartes au moment qu’il le souhaite, et c'est ainsi que les normes tacites s'établissent. Les femmes, généralement privées de responsabilités, ne sont pas soumises à cette uniforme. Par contre, elles sont soumises au chef.

La notion de sexisme dans ces rapports est évidente : le chef est le pater familias, le duce, celui dirige à la maison, car comme on dit dans l’entreprise : « Dans la maison, on est une grande famille ». Donc respect au chef sinon tu seras privé de dessert. (*)

Alors si hiérarchie il doit y avoir, sans hypocrisie, sur quoi l’établir, bordel ? Ca paraît évident, non ? Mettons tout sur la table ! Bas les masques ! Même le string ! Faisons tomber ces remparts qui cloisonnent la communication !

Il paraît dès lors évident que le chef naturel, c’est celui qui a la plus grosse bite. (**)


(*) Personnellement je n’ai jamais été très dessert, mais bon, à la limite je peux comprendre l'enjeu.

(**) Dans la mesure du raisonnable. Comme disait Charles Baudelaire en parlant de l'albatros, "Ses ailes de géant l'empêchent de marcher".

4 commentaires:

Anonyme a dit…

Quand vous dites, mon cher Jean-Pierre (je vous cite) : "croire en l’ « inégalité juste » des individus", vous vous référez je suppose à l'article premier de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen : "Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l'utilité commune."

N'est-il ??

Bien à vous,

Charles-Eugène de la Corderaide.

Anonyme a dit…

"Le chef pense être né chef" !

Il est vrai que l'aggrégation de philosophie n'est pas requise pour devenir chef, elle est même fortement déconseillée. Sans quoi le futur chef serait tombé sur cette affirmation du hollandais pensant Erasme (je cite) : "on ne naît pas homme, on le devient".

Votre obligé,

Karl-Hippolyte de la Bandoulière

Anonyme a dit…

« Dans la maison, on est une grande famille » ...

drôle de famille au sein de laquelle l'idée que personne n'est irremplaçable est acceptée !

L'entreprise entretiendrait-elle des paradoxes à trop vouloir ressembler à une grande famille (désunie) ?!

Jean-Pierre Martin a dit…

@Charles-Eugène de la Corderaide

Je me réfère surtout à sa négation, comme définition de l'entreprise. Son but est de faire des bénéfices.

Or, d'après la Déclaration des Droits de l'Homme et du citoyen, le but d'une société est le bonheur commun.

L'entreprise peut se résumer, dans cette définition, comme une association de malfaiteurs, au sens propre du terme.

@X
d'où les paradoxes ; il s'agirait plus d'une famille recomposée artificiellement. On est à la limite de la séquestration.

@KHB

La pensée du chef tient en effet plus d'une aggrégation de philosophies que d'une agrégation de philosophie.